Écrire à la première personne : recherches et réflexions au long cours

Quand j’ai commencé à raconter des histoires en images, la question de la place du sujet a été et est toujours une longue réflexion : parler à la première personne donne plus de proximité avec la lectrice et le lecteur mais risque de paraître égotique au bout d’un moment… 

Pour Parenthèse Philosophique, l’idée était partir du quotidien pour instaurer un dialogue philosophique avec le moi et le Soi. Je pars d’une situation personnelle et qui peut parler à chacun.e. Je crois que la force de la philosophie est de, justement, mettre de la distance dans ce que nous vivons grâce au questionnement et au changement de perspective. Les questions philosophiques concernent tout le monde, quelque soit le milieu social d’où l’on vient, sa race, sa couleur de peau, ses croyances. Ce qui me pose le plus question quand j’écris le prochain storyboard de Parenthèse Philosophique est le niveau de résonance que crée l’histoire en chacun.e. Est-ce-que je reste à un niveau purement éthique, au risque de tomber dans le développement personnel (qui est pour moi contraire à la philosophie antique) ou est-ce-que je peux me permettre d’élargir vers un champ plus socio-politique ?

Parler à la première personne demande à se poser la question de « qui parle ? », ou plutôt « d’où je parle ? ». Mes récits alternent des réflexions du moi (Angel, 35 ans, dessinatrice, femme intersectionnelle, etc.) et le Soi qui pose des questions pour traiter la problématique autrement et parvenir à essentialiser le débat.

La question du « je » est-elle culturelle ?

Dans les langues chinoises et japonaises, il me semble que la place du « je » est beaucoup moins présente : puisque la conjugaison est absente, la formalisation du sujet n’est pas toujours présente, laissant au lectorat la possibilité de choisir la proximité désirée avec le contenu. (On exprime le sujet une fois, en début de phrase et on continue à fabriquer des phrases avec verbe et complément… Alors comment savoir si c’est le poète qui parle ou une autre personne ?) Ce qui explique sans doute des traductions jugées laconiques ou poétiques. 

Dans l’exemple ci-dessus, la traduction rajoute l’idée « de mon lit » et de l’observateur que l’on devine mais qui n’est jamais mentionné clairement dans la rédaction originale du poème… Et en même temps, traduire par « Lever les yeux pour voir la lune brillante » n’aurait aucun sens…

C’est un peu le ton d’expression qui m’accompagne depuis toujours : une tentative d’exprimer un sujet dans lequel chacun.e puisse se reconnaître, croiser l’intime, l’individu et l’universel. Ce qui revient à questionner ce qu’il y a de commun en nous, ce qui nous réunit. Pour autant, on ne peut pas évacuer les questions des particularités puisque nous sommes des individus avec une existence et une expérience propres…

« Je » peut-il être universel ?

La question « d’où je parle » est une question essentielle quant on vient à écrire. Quand nous écrivons « je », parlons-nous au nom de notre expérience ou essayons-nous de mettre derrière l’humanité entière ? C’est un peu le défaut que l’on retrouve de plus en plus aujourd’hui avec le développement massif des réseaux sociaux : il est plus simple de prendre la parole, de donner son opinion qui amène à penser que sa vision est sans doute meilleure que celle de son voisin. « Je » devient une vérité absolue.

La France est précurseure en matière d’universalisme : entre l’Encyclopédie et la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen (qui est à la base de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, ndlr), nous avons un drôle de sens de l’universalisme, si bien que nous avons une tendance à ne pas aimer les communautés (par peur du communautarisme), à ne pas parler des races (par peur du racisme, alors même que les discriminations raciales existent aussi bien dans la recherche d’emploi, de logement que dans l’occupation géographique du pays). De que universel parlons-nous lorsque le « je » définit une certaine vision d’un système ? Peut-on définir un « je » universel en évacuant nos individualités ? C’est le grand défi que pose, entre autre, le vivre ensemble : être un individu libre, tout en agissant pour le bien commun.

L’Homme d’un point de vue archaïque

Photo prise à Lascaux IV (fac similé)

La lecture de L’Homme et l’Invisible de Jean Servier a résonné en moi de manière particulière, dans le contexte politique de cet été 2024 : l’anthropologue relate, dans une démarche scientifique, comment les Hommes des premières civilisations ont poursuivi sans relâche une quête vers l’Invisible. Autrement dit, l’Homme ne vit pas uniquement d’eau, de nourriture, de sommeil : les questions métaphysiques font partie de lui, et ne viennent pas après les besoins dits primaires (ciao, pyramide de Maslow). En marchant sur les traces de la préhistoire cet été, je me suis d’ailleurs rendue compte combien la satisfaction de ces besoins étaient remplis à l’échelle dont ces hommes et femmes étaient capables à l’époque : peut-être ne mangeaient-ils pas à « leur » faim (de notre point de vue d’aujourd’hui) , et pourtant, cela ne les a pas empêché de peindre « sans raison » sur des murs de grottes…

Ces hommes et ces femmes âgés de 45 000 années avaient les mêmes problématiques que nous, pas simplement existentiels mais aussi métaphysiques. N’y aurait-il pas là une piste pour trouver un « Je » universel ?

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